
Par Dr Jean Alban ONDH-OBAME, Enseignant-chercheur ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE DE LIBREVILLE
La réforme visant l’uniformisation des coefficients dans le système éducatif gabonais s’inscrit dans la volonté affichée de réduire le taux préoccupant de redoublement et d’abandon scolaire, phénomènes qui affectent durablement la qualité et l’équité de l’éducation nationale. Cette démarche s’insère aussi dans le cadre plus large du Plan Sectoriel de l’Éducation Intérimaire (PSEI) 2024-2030, stratégie nationale appuyée par l’UNESCO pour une éducation inclusive et performante au Gabon.
Redoublement : problème central ou symptôme ?
La réforme uniformise les coefficients à 1 pour toutes les disciplines au collège, mettant fin à la surpondération traditionnelle pour le français et les mathématiques. Si l’objectif est de diminuer le redoublement par une meilleure valorisation de toutes les matières, il faut se demander si le redoublement est la cause première des difficultés scolaires, ou plutôt un symptôme de problèmes plus profonds tels que la qualité de l’enseignement, le contexte socio-économique et le manque de ressources pédagogiques. En effet, le redoublement peut parfois représenter un temps de consolidation nécessaire, et nombre de redoublants réussissent ultérieurement dans leurs parcours.
Défis de la pluridisciplinarité et ressources limitées
L’ambition d’une pluridisciplinarité renforcée est louable, mais la réforme se heurte à des réalités concrètes : pénurie d’enseignants qualifiés notamment en sciences, absence importante d’outils pédagogiques adaptés, et manque de ressources documentaires dans les établissements, ce qui limite l’impact pédagogique souhaité. Le recentrage sur toutes les disciplines à coefficient égal pourrait effacer les spécificités nécessaires à la formation de profils scientifiques indispensables au développement économique du pays.
Évaluation critique de l’ancienne et nouvelle grille de coefficients
Il serait prudent d’évaluer rigoureusement les impacts de l’ancienne grille pour mesurer objectivement le bénéfice réel de cette réforme. Selon certaines analyses récentes, l’uniformisation a certainement réduit le taux apparent de redoublement, mais elle soulève aussi des critiques sur le respect des filières et l’orientation scolaire, brouillant la distinction entre filières littéraires et scientifiques, ce qui pourrait être préjudiciable pour la formation de futurs ingénieurs et techniciens, essentiels au Gabon.
Réforme isolée versus vision globale
Cette réforme, prise isolément, ne saurait répondre aux enjeux plus vastes du système éducatif gabonais, qui demeure confronté à des problèmes tels que la faible gouvernance, les infrastructures insuffisantes, le harcèlement scolaire, des comportements à risque chez les jeunes, et une inadéquation persistante entre formation et besoins du marché de l’emploi. Pour être effective, la réforme de la grille des coefficients doit s’inscrire dans un plan éducatif holistique et concerté, mobilisant l’ensemble des acteurs (État, société civile, communauté éducative, secteurs privé et traditionnel).
Appel à une réforme concertée et inclusive
Le rejet récent exprimé par certains acteurs, notamment via les débats parlementaires et la société civile, invite à la prudence et à la sagesse. L’annulation ou la suspension temporaire de la réforme pourrait être un acte responsable, conforme aux valeurs bantoues d’harmonie sociale et de réflexion collective. Il est impératif de construire une réforme éducative cohérente, intégrant à la fois la pédagogie, les conditions sociales, et la réalité économique, afin de forger un système éducatif performant et adapté aux défis du Gabon.
En somme, la réforme de l’uniformisation des coefficients représente une étape audacieuse, mais elle doit être accompagnée d’un mécanisme d’évaluation rigoureux, d’un renforcement des capacités institutionnelles, et d’une mobilisation collective pour ne pas devenir un simple pansement sur des problèmes structurels profonds.
Gabon d’abord.
Dr Jean Alban ONDH-OBAME.