
Par Edmond Dominique EPOMA-NGADI
Parler est un art ! C’est avant tout l’art de tourner sa langue sept fois dans sa bouche. Le silence est le père de la parole. Faire silence c’est l’art de nourrir sa parole dans son esprit avant de l’exposer aux vents et aux oreilles, à la critique bienveillante ou malveillante, à l’approbation ou au rejet. La parole se construit dans la matrix, de l’autre côté du regard. On la prépare dans l’intimité et le secret avant de la servir à l’auditoire. C’est dans ce sens que Wolfgang Amadeus Mozart disait que : « Le silence est très important. Le silence entre les notes est aussi important que les notes elles-mêmes ». Parler, écrire, chanter c’est la science des harmonies entre silences, paroles et respirations. Voilà pourquoi pour Georges Clemenceau : « Manier le silence est plus difficile que manier la parole ».
Chez les peuls, par exemple, la parole fait l’objet d’une grande attention. « Le parler se révèle comme une force vivante qu’il faut contrôler. Une puissante énergie qu’il faut savoir canaliser. Ainsie, une bonne parole est une parole qui sort du coeur, parceque le coeur fait cuire toute parole. Une parole crue ne vient pas du coeur. » (Maliki, 1984). Dans cette veine, Nabil Alami pense que « le temps donne la parole au silence ». Le temps : il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler.
En effet, parler s’apprend ! On ne s’improvise pas. On ne se précipite pas. Selon le sage Amadou Hampâté Bâ, les vertus des traditions historiques et les valeurs des civilisations africaines enseignent que c’est à l’âge de 42 ans qu’on est, enfin, autorisé à prendre la parole en public. L’apprentissage des codes et des règles de base de l’art oratoire dure ainsi 42 ans. 42 ans de silence, d’observation et d’écoute humble et persévérant. Jésus de Nazareth a fait 30 ans de vie cachée avant de prendre publiquement la parole pour enseigner. Et, il enseignait en homme qui a autorité : « Quand Jésus termina ce discours, son enseignement avait beaucoup frappé les foules ; c’est qu’il les enseignait avec autorité et non pas comme leurs maîtres de la Loi. » ((Mt 7, 28-29).
Qu’en est-il aujourd’hui ? A l’ère de la civilisation du « bruit » et des réseaux sociaux, l’art de la parole semble s’être abusivement démocratisé. Tout se dire ! A vous la parole ! La parole pour tous ! La parole n’importe quand, n’importe où et n’importe comment ! La league du droit de tout dire est portée aux nues par les kounabélistes, les activistes et autres journalistes et communicants citoyens.
Or, le droit à la liberté d’expression n’est pas un droit absolu ! Il s’agit, certes, d’un droit fondamental consacré et garanti par la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Charte des Nations Unies, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et la Constitution Gabonaise, ainsi que les conventions internationnelles telle que la Convention européenne des droits de l’Homme, la Charte des droits et des libertés de la personne, toutefois, la liberté d’expression, qui inclut la liberté de presse et de manifestation, le droit de grêve, le droit d’exprimer des opinions controversées et dérangeantes, ainsi que de critiquer des idées et des valeurs sans avoir peur de subir des représailles ne doivent pas servir de prétexte à des propos racistes, sexistes ou homophobes.
La liberté d’expression doit être encadrée par les lois et les réglèments en vigueur, afin de ne pas heurter le droit à l’image, le doit à la dignité et la vie privée des personnes. A l’approche de l’élection présidentielle du 12 avril 2025, il est important de révisiter la notion de liberté d’expression et de comprendre qu’elle n’est pas absolue. Plusieurs facteurs peuvent la limiter tels que les motifs d’intérêt général, la sécurité nationale, la sûreté publique ou encore l’intégrité du territoire, le devoir de réserve, laprotection de certains documents relatifs aux secrets de la défense nationale ou certains documents confidentiels, etc.
Mazouz Hacène l’avait dit : « Le silence est parfois plus sage que la parole ».