Hommage à l’abbé Jean-Pierre ELELAGHE NZÉ

Hommage rendu à l’abbé Jean-Pierre ELELAGHE NZÉ à l’occasion de la parution du 3ème numéro de la Revue TOLEG, consacré à son apport intellectuel sur le débat foi et culture locale dans sa thèse de Doctorat, soutenue en 1977, sous le thème « De l’aliénation à l’authenticité? Problématique missionnaire et affrontements culturels au Gabon : L’exemple des Fang ». Cet événement coïncidait avec la célébration des 56 ans de sacerdoce de ce dernier.


L’Abbé Sid Eddy EDZANG ENGOUANG, Vice chancelier de l’Archidiocèse de Libreville et Vicare à la paroisse cathédrale Notre Dame de l’Assomption, sainte Marie était au nombre des panelistes. Nous publions, ici, l’intégralité de sa contribution qui est une présentation de TOLEG n.3 :

Thème : Le débat foi et culture dans le Gabon postcolonial : au-delà des préjugés et des fantasmes

Le troisième numéro de la revue TOLEG nous accueille avec un titre à forte charge symbolique et critique. Il est à la fois évocateur et provocateur, car il nous plonge d’emblée dans un débat vif, souvent polémique, qui touche autant à l’identité profonde de nos peuples qu’au cœur même de notre foi chrétienne. Mais il ne s’agit pas ici d’alimenter des oppositions stériles ou des passions idéologiques. Il s’agit de creuser un sillon de vérité, en dépassant les caricatures, les réductions simplistes et les conflits hérités d’une histoire douloureuse.
En réalité, le dialogue entre foi et culture a germé bien avant les indépendances africaines, au moment même où les premières semences de l’Évangile venaient rencontrer des traditions anciennes, riches, complexes, mais trop vite disqualifiées. C’est ce débat de fond, souvent escamoté ou instrumentalisé, que ce numéro veut reprendre avec rigueur, pédagogie et profondeur théologique.
Ce volume se distingue par la cohérence de ses contributions et par une progression logique, presque initiatique, dans l’approche du thème pour atteindre comme point culminant l’hommage rendu à l’abbé Jean Pierre ELELAGHE NZE dans la recension de sa thèse de doctorat en 1977, thèse prophétique qui posait déjà les jalons d’une rencontre possible, lucide et féconde entre foi et culture.
Le premier article, « Prolégomènes pour une rencontre fructueuse entre foi chrétienne et les religions traditionnelles au Gabon », de Sid Eddy EDZANG ENGOUANG ouvre ce parcours en posant les conditions d’une véritable rencontre entre foi chrétienne et traditions africaines. Mais son mérite est surtout d’exposer avec justesse les obstacles profonds à cette rencontre : d’un côté, la méconnaissance mutuelle entre les défenseurs de la foi et ceux de la culture ; de l’autre, l’absence de formation sérieuse des acteurs, aussi bien religieux que traditionnels. Sans lucidité sur ces failles, aucun dialogue n’est viable.
C’est sur ce point précis, la nécessité de la formation, que prend appui le deuxième article de Jean Paul René ONDOUA OMBGA, « L’accompagnement des jeunes comme instance de conjugaison de la foi et de la culture : une lecture contextualisée de 1S 3, 1-21 ». L’auteur y voit une interpellation forte sur la manière d’accompagner les vocations sacerdotales dans le contexte africain. Il insiste sur l’urgence d’un accompagnement par des figures sages, enracinées à la fois dans la Parole de Dieu et dans les cultures locales, capables d’aider les jeunes à entendre l’appel de Dieu sans renier ce qu’ils sont profondément. De là, une interrogation peut émerger : et si la foi et la culture pouvaient non seulement coexister, mais même s’enrichir mutuellement ?
C’est à cette problématique que Jean-Parfait EKOME MFOULOU se propose d’apporter une réponse dans le troisième article, « Foi chrétienne et culture mvetteenne : au-delà des divergences, la préoccupation pour l’essentiel », qui propose une lecture croisée entre la foi chrétienne et la culture du Mvett, grande tradition épique fang. Au-delà des oppositions apparentes, l’auteur montre que ces deux univers peuvent fonctionner comme les deux ailes d’un même oiseau : la culture nous enracine, la foi nous oriente ; ensemble, elles permettent à l’homme gabonais d’échapper à l’irrationnel, de résister à la fascination matérialiste, et d’aspirer à une civilisation de l’amour, ouverte sur l’éternité.
Mais comment aspirer à une telle synthèse, entre foi chrétienne et culture africaine, sans s’attaquer à ce qui mine l’homme africain de l’intérieur ? C’est la question qu’affronte de plein fouet le quatrième article de Fredo Giovanni OBAME DEGBOEVI, « Évangélisation et aliénation culturelle en Afrique : Voilement d’une crise anthropologique ? ». Il montre que le problème et la crise de l’homme Africain est avant tout anthropologique : le problème n’est pas d’abord l’évangélisation, mais l’ignorance ou le refus de penser en profondeur ce qu’est l’“Africanité”. Il faut donc, de manière urgente, repenser une pédagogie de l’être africain, pour qu’il puisse se dire, s’assumer, se construire dans un dialogue sans domination.
C’est dans cette logique que s’inscrit le cinquième article, « L’aveu du vœu entre foi et culture dans le Gabon postcolonial : approche pédagogique », dans lequel Michaël OYONO MOUSSAVOU pousse plus loin la réflexion en analysant le rapport foi-culture sous l’angle pédagogique. L’auteur y critique un système éducatif encore très marqué par des modèles extérieurs, déconnectés de nos réalités culturelles profondes. Même le culte chrétien n’échappe pas à ce constat. L’article en appelle donc à une double émancipation : culturelle et cultuelle, qui permettrait à la foi de s’exprimer dans des formes mieux adaptées à notre identité.
Ce qui nous conduit naturellement au sixième article, consacré à la liturgie comme lieu par excellence de l’inculturation. Joseph Toussaint ATANGA RATANGA y développe, sous la thématique « Inculturation et liturgie : la liturgie comme lieu essentiel pour envisager une inculturation », une vision exigeante mais libératrice : inculturer la liturgie, ce n’est pas la folkloriser, c’est trouver les langages, les rythmes, les symboles, les gestes par lesquels la foi chrétienne devient intelligible, sensible, habitée dans le contexte gabonais. La liturgie devient alors le lieu concret où foi et culture s’épousent dans la vérité.
Enfin, c’est au pied du maître, un éminent homme de culture et ministre chevronné des mystères chrétiens, que s’achève ce parcours. Dans une recension profonde, le dernier article rend hommage à l’abbé Jean Pierre ELELAGHE NZE, pionnier d’une théologie inculturée au Gabon. Sa thèse « Aliénation, authenticité et mission : le cas des fang du Gabon », soutenue en 1977 à l’université catholique de Starsbourg, apparaît comme un texte fondateur, un appel lucide et courageux à un nouvel élan missionnaire enraciné dans les réalités africaines et respectueux des cultures locales. C’est un héritage vivant, un combat toujours actuel.
Pour conclure, ce numéro n’est donc pas un simple exercice académique. C’est une invitation à l’engagement, un appel à sortir des sentiers battus et à penser une foi africaine décomplexée, ouverte à la vérité, respectueuse de la richesse culturelle de nos peuples, mais aussi fidèle à l’Évangile.
Au-delà des préjugés et des fantasmes, il s’agit désormais de bâtir une théologie enracinée, une pastorale audacieuse et une Église vraiment incarnée dans le Gabon d’aujourd’hui.

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