
Le 30 août 2023 avait sonné le glas d’une ère politique et offert une constellation nouvelle à l’aune de laquelle le peuple peut enfin caresser le rêve de l’essor du pays vers la félicité.
Deux ans après cette belle aventure de libération, un bilan d’étape est requis pour voir si le résultat à mi-chemin est à la hauteur des objectifs du coup de libération et des fortes attentes que le peuple a eu raison et est toujours en droit de générer à l’égard de la nouvelle élite gouvernante.
Or, au-delà des louables initiatives de développement au crédit de l’État, ce qui apparaît critique à l’épreuve des faits et à l’aune des débats sociaux qui enflent continuellement comme un chant de bouc, ce sont les résistances mentales enclines à galvauder le concept pour insuffler une impression de poursuite des chimères.
La nécessité de fournir des grilles d’intelligibilité pour garantir le concept s’avère alors impérieuse, et requiert par-là un recul critique à la fois constructif, inspirant et novateur.
Dans cette perspective, une identification de la libération à la restauration pour que libérer équivaille à restaurer, serait idoine à titre de prémisses pour sauver les meubles. Or, sémantiquement parlant, restaurer revient à réparer l’instauré inappliqué, dans la perspective locale de la légitimité politique, de la mise en application des textes de lois, et de la transparence et de la crédibilité des processus électoraux. Puis dans la perspective de la compétence et de la méritocratie contre une géopolitique contre factuelle et contreproductive, non dans son sens scientifique d’étude et de gestion des interactions entre les acteurs et les espaces géographiques à l’intérieur d’un espace territorial ; mais dans le sens détourné et subverti de répartition des avantages et des privilèges du pouvoir sur fond du critère ethnique et régionaliste.
Et dans l’optique politique de la libération, restaurer revient en réalité à rectifier le système politique du pays, pour le rationaliser et le conformer aux idéaux républicains en vigueur. Puis, réveiller l’âme du peuple, s’en réapproprier pour reprendre le contrôle total de la souveraineté. Parce que, au-delà de l’infrastructure, les plus grandes révolutions sont d’abord systémiques et superstructurelles. Et c’est cette superstructure qui détermine, commande, inspire et oriente l’infrastructure.
Il faut donc, dans une seconde optique, faire en sorte que la libération soit de nature à restaurer la légitimité dans l’exercice du pouvoir et de la gouvernance politique. Or, en tant que principe selon lequel le peuple doit être le seul maître d’admettre un pouvoir, une gouvernance, une organisation politique ou de les rejeter, la légitimité requiert trois dispositions, pour des besoins de sa restauration, et pour l’effectivité du changement de paradigme dans la mentalité et le « monde vécu » (Habermas) des citoyens. À savoir, d’abord la nécessité de passer de la légitimité irrationnelle à la légitimité rationnelle, et donc de la reconnaissance de l’autorité par peur de représailles et souci politicien de préservation des intérêts, à la reconnaissance et à l’adhésion à celle-ci pour de bonnes raisons et par la conscience éclairée. Ensuite le besoin de traduire en acte l’application de l’autodétermination démocratique, ce droit du peuple à disposer de lui-même, ce principe d’une « nation de citoyens qui assument eux-mêmes leur destin politique » (Habermas), et qui par-là, doivent être écoutés du point de vue des attentes engendrées en matière de souveraineté. Enfin, l’impératif de rendre les décisions bonnes par le fait de les fonder en légalité et en légitimité, c’est-à-dire de les rendre à la fois conforme à la loi, conforme à la volonté du peuple et conforme à une fondation en raison, en justice et en équité.
Par-là, la libération doit donc être portée à ramener le pays à la souveraineté interne, c’est-à-dire à la capacité pour l’État d’émettre et d’assumer des règles qui s’appliquent à tous les habitants sur son territoire, par-delà la souveraineté externe qui en fait par ailleurs l’égal de tous les autres États et le met à l’abri des ingérences extérieures dans la politique intérieure. En effet, dans son sens de pouvoir de commandement suprême, la souveraineté répond toujours à deux questions. À savoir, à qui appartient le pouvoir de commander, et comment ce pouvoir lui a été conféré ? Or, dans la constitution du régime de la Ve république, la souveraineté est populaire. Elle appartient au peuple qui en est aussi, par voie de conséquence, l’organe d’exercice, par le biais des élections ou par le référendum. Obliger les sujets de droit international, les sujets politiques et les sujets de droit, au respect de la souveraineté intérieure requiert donc que l’État, seul détenteur du monopole de la violence légitime (Max Weber), et dans une optique d’hospitalité universelle respectueuse du multiculturalisme, du cosmopolitisme et des droits de l’homme, alterne dans sa gouvernance et sa diplomatie, entre le hard power et le soft power, le pouvoir contraignant, particulièrement économique et militaire, et le pouvoir de négociation, de coopération et d’attraction pour garder la puissance. Cela requiert donc, par respect de la souveraineté intérieure, deux choses fondamentales. D’abord une politique nataliste qui réglerait d’elle-même la question démographique et de facto le détail de l’informel. Ensuite la nécessité de se garder de la tentation à nouveau frais d’une célébration tournante de la libération sous le prisme événementiel et festif et l’empire du régionalisme qui la guettent, pour l’auréoler de patriotisme et en faire un tremplin en direction du développement du pays et de l’unité nationale autour du seul intérêt supérieur de la nation. Un équivalent de cette unité nationale comme ciment de la citoyenneté civique, de la solidarité active entre les citoyens, et comme vivre ensemble transformateur exempt de régionalisme et de tribalisme, a d’ailleurs été vu et vécu récemment lors de la procession de l’église catholique le 16 août 2025.
Il importe donc par-là que la libération consacre enfin la traduction en acte et l’effectivité des objectifs du « coup de libération » et des décisions fortes prises par la nouvelle élite dirigeante. À savoir, entre autres, (a) le passage courageux et révolutionnaire de la géopolitique à la compétence, et qui implique par la même voie la nécessité de revoir l’échelle d’ascension sociale et de sortir de la particratie et du népotisme ; (b) l’impératif de transparence et de crédibilité des scrutins électoraux, et en deçà la question de l’éligibilité, comme qualité légale à être candidat à une élection politique, et dont l’obtention au sein d’un parti politique ne doit être acquise démocratiquement que par le seul médium des primaires ; (c) le patriotisme et la préférence nationale en matière de transformation locale des matières premières, gage pour redonner au peuple, le minimum de dignité qui lui est due et qu’il mérite.
Docteur EBANG ELLA, Maître assistant en philosophie politique